Les malentendus entre Zamet et Angélique

Publié le par pourlan

L’Institut du Saint-Sacrement :

des ambigüités qui vont aller s’aggravant.

 

 

L’Institut du Saint-Sacrement est d’abord une idée de Sébastien Zamet, sans doute liée à la création quasi-contemporaine de la Compagnie du même nom, avec laquelle il a partie liée dès l’origine (son frère en deviendra le responsable). Cette idée correspond à ce qui est une intuition assez constante de Zamet : allier action et contemplation, en associant un ordre contemplatif à une société de vie apostolique (ainsi, il crée Sainte-Marthe en pendant de la Visitation).

 

L’idée est dans l’air du temps : l’encouragement à la dévotion au Saint-Sacrement est l’un des motifs essentiels de la contre-réforme.

 

Zamet est un évêque à la fois réformateur et gallican. Il sait qu’il n’y a de réforme possible chez les cisterciennes (qu’il appelle « Bernardines » pour bien marquer la différence avec l’ordre historique de Cîteaux) qu’à une condition : les faire échapper à la main-mise des religieux de Cîteaux, opposés à la réforme. Evêque gallican, il considère que placer les religieuses sous l’autorité épiscopale est le seul moyen de les rendre indépendantes des cisterciens.

 

Les idées de Zamet rejoignent celles d’Angélique Arnauld sur plusieurs points :

 

-          La dévotion au Saint-Sacrement fait son apparition à Port-Royal en tant que prière pour échapper à l’emprise des religieux opposés à la réforme. Elle est donc conçue comme un instrument direct de la réforme bernardine.

-          Angélique s’interroge sur le maintien de sa communauté dans l’ordre de Cîteaux, car elle estime que la règle de Cîteaux n’a pas été écrite pour des femmes[1] ; d’autre part, le gouvernement de l’ordre est opposé à la réforme.

-          Elle envisage pour elle-même, au moment où elle fait connaissance de Zamet, de se retirer dans un monastère de la Visitation : elle est en effet rongée de scrupules, car sa première élection abbatiale a été obtenue grâce à une fraude (elle a menti sur son âge).

 

En réalité, ce sont deux projets différents qui se rencontrent, ce qui crée une première ambigüité : les motivations de Zamet ne sont pas celles d’Angélique. Il n’y a pas de projet unique, mais des idées convergentes. Pour les uns et les autres, la démarche va être de s’abandonner à la Providence : Dieu est le maître d’un projet que nul ne connaît encore dans ses détails. C’est ainsi que la guérison miraculeuse de Louis XIII en 1630 va être comprise comme un signe de la Providence. Cet apriori de départ explique pourquoi l’ISS aura une histoire aussi mouvementée : pas de véritable projet, mais un processus de discernement constant.

 

La seconde ambigüité tient à la direction de l’Institut : elle est confiée en commun à trois évêques (Langres, Paris, Sens). Cette co-direction correspond à la première idée : réunir trois monastères en quête de réforme (Port-Royal, le Tart et le Lys). Elle n’a plus de sens dès qu’on prend le parti de fonder une maison indépendante des trois autres.

 

L’ouverture de la maison de la rue Coquillière complique encore la situation : jalousie de l’archevêque de Sens, qui se sent exclus de fait et va chercher un moyen de nuire (il le trouvera en déclenchant l’affaire du chapelet secret) ; vexation de celui de Paris, qui ne voit pas pourquoi Zamet serait directeur d’une maison située dans son diocèse.

 

A ces ambigüités de départ va s’ajouter l’instauration d’une brouille persistante en Angélique et Zamet.

 

-          Zamet est dépensier, et pousse à l’emprunt ; Angélique est économe. Les travaux de Port-Royal lui apparaissent vite comme un gouffre inquiétant : les 24 000 livres apportées par Mme de Pontcarré ne sont pas suffisantes, il faudra aller jusqu’à 130 000, « tout étant plus cher à Paris qu’aux Champs ».

-          Zamet et, plus encore, Jeanne de Saint-Joseph, introduisent à Port-Royal « l’esprit de Tart » : on invente d’apprendre à lire aux sœurs illettrées[2], on met des écritoires dans toutes les cellules et on encourage la lecture, « On disait qu’il fallait rendre toutes les sœurs capables de tout »[3]. Les sœurs passent de plus en plus de temps aux parloirs « pour parler à des Pères » (sans doute les Oratoriens délégués par Zamet). « On met au Tour et à la sacristie les plus imparfaites », « On ne voulait plus recevoir de pensionnaires, si elles n’étaient filles de marquis ou de comtes, on se moquait de la simplicité et de l’apprêt des viandes du réfectoire, il fallait tous les jours changer de potages, et faire des quantités de saupiquets d’œufs qui nous étaient inconnus, avec force épices dont on n’avait pas accoutumé d’user ». « A l’église, force parfums… »[4]. Zamet construit à PR des bâtiments modernes et confortables, introduit le confort jusque dans la chapelle, substitue la faïence au grès, exige la propreté du corps et du linge, l’hygiène des locaux… Il demande de la gaité aux récréations, de la majesté dans les offices, envoie des pères de l’Oratoire pour prêcher… « Il fallut avoir des fourchettes, dont on ne s’était jamais servi ».

-          Dès le début, Angélique désapprouve le choix de la rue Coquillière : trop bruyant, trop petit, trop cher, trop mondain[5]

-          Zamet a pour objectif principal d’attirer les dames de la cour ; Angélique n’aime pas ce milieu qui n’est pas le sien.

-          Zamet semble avoir « changé entièrement » : l’intuition première d’un institut de vie contemplative a fait place à un lieu raffiné et mondain.

-          Zamet ne veut pas d’Angélique pour supérieure, malgré ce qui a été convenu et décidé par la bulle. Gondi insistant pour nommer Angélique, il lui adjoint Anne de Jésus.



[1] Voir la lettre importante du 25 mars 1627, citée par Prunel (p. 482), dans laquelle Angélique écrit que la règle de St Benoît n’a pas été écrite pour les femmes, et en donne pour preuve que les monastères de femmes ont toujours eu des règles particulières.

[2] Mémoires d’Angélique, p. 60

[3] Id., p. 61

[4] Id., p. 62. il est difficile de suivre Angélique sur tout ce qu’elle raconte : cela ne correpsond pas à ce que nous savons par ailleurs de la réforme de Tart, qui est au contraire placée sous le signe d’une extrême pauvreté.

[5] Id., p. 63

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